Vote communautaire en Algérie à la fin du XIXème siècle
Décret dit Crémieux de 1870
"L’opposition au décret Crémieux viendra pourtant moins des seconds [des musulmans] que des colons. À peine trois mois après son adoption, il lui est reproché de bouleverser la carte électorale algérienne. Si le décret s’applique, les israélites s’empareront nécessairement, par la voie de l’élection, des administrations municipales et de toute l’influence politique, et ils absorberont, dans toutes les villes du littoral, les institutions consulaires (chambres de commerce essentiellement), redoute un représentant à Alger du gouvernement[1]."
Loi de 1889 sur la nationalité française
"La loi de 1889 [par laquelle les étrangers nés en France devenaient automatiquement français] suscite des réactions mêlant nationalisme et protectionnisme, de la part d'ouvriers, de fonctionnaires ou d'agriculteurs, tous Français majorés par leur statut de colon et qui répugnent à partager la manne. Les protestations contre le risque d'un abâtardissement du sang et la peur de voir diminuer ses privilèges sont indissociables. Les "Français à cinq sous" sont ainsi soupçonnés de demeurer trop proches de leur pays d'origine ou de leur communauté. "En contact tous les jours avec leurs coreligionnaires, ces nouveaux venus conserveraient leurs moeurs, leurs tendances, leurs goûts, leurs espérances. Ils accepteraient d'être Français dans un seul but: profiter de leur nombre pour s'emparer de toutes les administrations communales et préparer moralement l'annexion du département d'Oran à l'Espagne, ce qui est dans l'esprit de beaucoup d'Espagnols" s'inquiétait le député d'Oran Eugène Etienne. Ce qu'on appelait en Algérie le "péril étranger", a imprégné très fortement l'imaginaire français. Sur sa réalité, les statistiques donnent des chiffres contradictoires: en 1898 par exemple, ils vont de 30.000 naturalisés sur 90.000 électeurs - soit un tiers -, à 16.640 !
Quant à la proportion des "néos" parmi les élus, elle est de 18% des conseillers municipaux en 1908. Ce n'est qu'en Oranie qu'ils pouvaient espérer peser vraiment, étant les plus nombreux dans 37 communes sur 269 en 1906, et 55 en 1911. La pratique du vote communautaire, obéissant à des solidarités ethniques, explique le mécontentement des électeurs et des élus français de souche, contraints de tenir compte de cette intrusion dans leur domaine, hier réservé." (pp. 74-75)
"Si les facteurs de l'antisémitisme algérien [lire: des Européens d'Algérie] sont multiples, l'un des principaux est électoral. Il y a en effet à Oran un "vote juif", qui représente 15% de l'électorat, et un "vote latin". La communauté israélite y suit les directives de son consistoire, au sein duquel, pendant près de trente ans, Simon Karoui a été tout puissant. Le grand rabbin d'Oran reconnut, lors de son audition par la Commission d'enquête parlementaire sur les troubles antijuifs, "la trop grande influence que nos coreligionnaires ont pris comme corps confessionnel dans les luttes électorales".
"L'opportunisme est la forme politique de l'esprit juif" et l'antisémitisme une protestation sociale a même pensé un temps Jean Jaurès, sous l'influence des radicaux antisémites et des socialistes locaux.
A la vérité, le clientélisme régit cette communauté comme les autres. Eugène Etienne, inamovible député puis sénateur d'Oran, ministre des Colonies, grand homme du parti colonial à Paris, doit à cette pratique sa longévité politique." (p. 83)[2]
Sources
- ↑ Jean-Pierre Sereni, "1870, la France coloniale divise juifs et musulmans", Orient XXI, 1er avril 2014
- ↑ Claude Liauzu, Histoire des migrations en Méditerranée occidentale, Bruxelles, Editions Complexe (coll. Questions au XXe siècle), 1996