Les candidats-gadgets du CDH multiculturel

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par: Pierre-Yves Lambert
mercredi 9 juillet 2003
paru sur Indymedia.be

Un sénateur CDH a proposé de lutter contre ce qu'il appelle des "candidats-gadgets" qui se présentent uniquement pour rapporter des voix. Son propre parti, de par la façon dont il a donné artificiellement un caractère multiculturel à ses listes, paraît mal placé pour faire la morale.

Les élections du 18 mai ont vu des candidats se présenter à l'une ou l'autre assemblée, voire aux deux, sans avoir aucunement l'intention d'y siéger, d'autres ont été élus dans une assemblée puis sont devenus ministres à un autre niveau de pouvoir, le moins qu'on puisse dire est que l'électeur a, dans plusieurs cas, été floué. Ceci dit, quand les mêmes partis alignaient sur leurs listes des joueurs de foot, des ex-présentatrices de télé et autres figures indispensables de la scène politique, et qu'un nombre impressionnant de Belges leur ont accordé leurs suffrages, on peut leur rétorquer que, quand on vote pour un parti qui pratique ce jeu malsain, on assume...

Par contre, les propositions du sénateur CDH René Thissen pour éviter les "candidats-gadgets", les "faux candidats", les "candidats pour du beurre", me donnent l'occasion de revenir sur certains épisodes peu glorieux pour le CDH pendant cette campagne électorale. Je veux parler des curieux procédés de Joëlle Milquet pour"diversifier" ses listes à la Chambre et au Sénat, avec l'assentiment ou l'abstention coupable des autres responsables du parti. La plupart des citations de candidats reprises dans mon texte proviennent des carnets de campagne rédigés par Mehmet Koksal et moi-même.

Tout d'abord, c'est, dans le courant du mois de janvier, l'"affaire Osman Saglam", ce conseiller communal PS de Saint-Josse qui a réussi à se faire passer, notamment aux yeux de Joëlle Milquet, comme "porte-parole des fédérations turques", et qui négocie à ce titre avec elle à la fois sa propre insertion sur la liste CDH au Sénat et celle, "structurelle", de la "communauté turque" au sein du parti. La présidente se fend d'une lettre bien imprudente à l'intéressé, promettant une structure autonome pour les Turcs dans le parti, à l'instar de ce qui existe pour les Arabes, avec représentation garantie dans les diverses instances du parti.

Le pot au rose est dévoilé par "Suffrage Universel" début février au terme d'une enquête auprès de divers protagonistes de cette comédie, au CDH, au PS et à la tête des diverses fédérations, à l'exception des Loups Gris (Belçika Türk Federasyonu). Osman Saglam nie pourtant l'évidence, et se prétend "victime d'un complot de [ses] ennemis au sein du PS de Saint-Josse".

Aux communales de 2000 à Saint-Josse, Sema Gündoar, fille d'un restaurateur turc de la rue des... Deux Eglises (siège dudit parti) figurait sur la liste du PSC. Au niveau local, c'était un secret de polichinelle qu'elle avait passé toute la campagne électorale en vacances en Turquie et que la politique n'était vraiment pas sa tasse de thé, comme elle le dit "en fait, c’est surtout pour faire plaisir aux autres personnes du quartier que je suis entrée en politique en 2000.". En 2003, Joëlle Milquet vient la voir et lui demande de figurer sur la liste à la Chambre. Cette fois, Sema la prévient, "Ils pouvaient utiliser mon nom jusqu’à ce qu’ils trouvent une autre personne. Puis j’ai ajouté : ‘Si vous voulez des voix, trouvez un candidat originaire d’Emirdag car les gens du quartier sont tous de ce coin. Moi, je suis originaire d’Ankara alors ça ne marche pas’.". De toute façon, "En plus, je n’accrochais pas vraiment aux sujets du parti socialiste ? Comment ? Oui, bon, le parti socialiste chrétien si vous voulez…". Entre alors en scène, comme remplaçante de Sema à la 14ème place, Sultan Izci, jamais candidate ni militante politique auparavant.

Sultan Izci a expliqué à la veille des élections que "vers janvier de cette année [2003], le responsable de la Coordination des fédérations turques [ndPYL regroupant des organisations dépendant de l'ambassade et les Loups Gris fascistes] a pris contact avec moi pour me convaincre d’entrer en politique avec le CDH. J’ai dit que je ne connaissais rien du programme et que je voulais bien regarder un instant le projet. Puis, la Présidente Joëlle Milquet m’a invitée chez elle afin de discuter de cela tout en précisant que nous étions 4 ou 5 candidats turcs à une place sur la liste.".

Sur la liste au Sénat, la 5ème place était réservée à un(e) candidat(e) d'origine turque, à nouveau plusieurs personnes ont été approchées, y compris des membres du PS et du SP.A, dont une au moins est affiliée au syndicat chrétien CSC. En fin de compte, une jeune comptable de la région de La Louvière, Bahtisen Yarol, a été retenue. Dans sa présentation lors de la conférence de presse annonçant la composition de la liste, il était mentionné qu'elle est "Active dans 25 ASBL de la communauté turque situées à Bruxelles et en Wallonie". Lesquelles ? Mystère. Mais une chose est sûre, son nom n'apparaît dans aucun conseil d'administration d'association turque, la recherche a été faite sur le site internet du Moniteur Belge ( http://www.just.fgov.be/cgi_vzw/vzw.pl ). Par contre, on y trouve plusieurs Yarol habitant le même quartier que Bahtisen, quasiment tous sont responsables ou membres fondateurs d'associations de la mouvance des Loups Gris fascistes au niveau local, régional ou national. Zeki Yarol est par exemple le trésorier du "Verbond der Turkse Verenigingen in België", la structure nationale des Loups Gris, "Fédération Turque" en français, "Belcika Türk Federasyonu" ou "Belcika Ülkücülar Federasyonu" en turc. Mais Bahtisen Yarol, interpellée à ce sujet au cours d'un colloque aux Facultés Universitaires Saint-Louis début mai, après avoir confirmé qu'il s'agissait bien de membres de sa famille proche (Zeki est son oncle), a clairement affirmé que "ce ne sont pas les Loups Gris qui m'ont proposé pour la liste du CDH, c'est le consul de Turquie lui-même qui m'a présentée à Joëlle Milquet"... Pendant la campagne électorale, les organisations nationalistes et fascistes turques ont activement mené campagne pour cette candidate et contre la candidate PS à la Chambre, Birgül Caner, qui a même été menacée et sommée de se retirer par le "Comité de coordination des fédérations turques" dont il a déjà été question. Près d'un mois après les élections, Mme Caner a reçu en pleine nuit un carré d'arbalète dans une fenêtre de son domicile, au rez-de-chaussée duquel se trouve le local du parti social-démocrate turc CHP. Selon Le Soir du 17 juin, "Cette agression pourrait avoir un lien avec certains événements survenus lors de sa campagne électorale."

Plusieurs mois avant les élections, avant même l'"affaire Saglam", il avait été question de contacts entre Halis Kökten, conseiller communal FDF de Saint-Josse, également d'origine turque, et... Joëlle Milquet. Dans la première mouture de la liste MR à la Chambre, il était pourtant bel et bien candidat, mais il a été évincé de la liste réduite, officiellement pour cause de décision de la Cour d'Arbitrage mais plus probablement parce qu'étant le seul candidat MR de Saint-Josse, le FDF et le PRL local, qui ne le portaient pas dans leur coeur, auraient été obligés de faire campagne pour lui au niveau local. D'après lui, ce serait parce que "le parti libéral a une plus grande affinité avec la population maghrébine". Depuis lors, il siège au conseil communal au sein du groupe CDH, mais dit à qui veut l'entendre qu'il n'est pas membre du parti et, le jour des élections, il appelait sans vergogne des électeurs à voter pour des candidats... MR. De toute façon, "moi je suis partisan pour jouer le jeu n’importe où pour autant que j’arrive à faire avancer la situation des miens"...

Il était également question dès la présentation des listes incomplètes du CDH fin décembre, début janvier, qu'un "candidat juif" viendrait s'y insérer prochainement. Ce fut en fin de compte Michaël Renous, propulsé à la 5ème place à la Chambre et immédiatrement promu au bureau politique du parti, alors qu'il n'y avait jamais milité auparavant, ni dans aucun autre mouvement politique belge. Sa seule notoriété sur le plan politique lui vient de son père, Arié Renous, directeur de la radio sioniste extrémiste "Radio Judaïca" et du mensuel "Contact J". Dès qu'ils ont été mis au courant de cette candidature, un certain nombre de militants, d'origine arabe notamment, ont interpellé les instances du parti afin de s'assurer de la compatibilité des positions de ce candidat sur le conflit israélo-arabe avec celles du CDH. Ils ont d'abord été éconduits, mais une sorte de charte aurait été adoptée pour ménager les susceptibilités. La coexistence au sein d'une même liste de ce candidat et d'Ahmed Bakkali, conseiller communal CDH et militant panarabe acharné depuis plus de trente ans a quand même fort surpris nombre d'observateurs, ce d'autant plus que Michaël Renous, mais aussi Joëlle Milquet et Georges Dallemagne, ont acheté des espaces publicitaires pour leur campagne dans "Contact J"...

Par contre, un autre candidat pressenti par le CDH, pour la liste au Sénat cette fois, n'a pas été retenu en toute dernière minute sur décision de Joëlle Milquet parce que suspecté, sur les informations "d'une journaliste ayant d'excellents contacts avec la Sûreté de l'Etat", d'être indirectement lié à Al-Qaida, liens qui lui vaudraient d'avoir un "épais dossier" à la Sûreté toujours selon la même source. Explications : cet économiste (diplômé de l'UCL) travaille pour une entreprise financière arabe basée au Grand-Duché de Luxembourg, laquelle aurait des actionnaires séoudiens, lesquels seraient des pourvoyeurs de fonds d'Al-Qaida. Il faut ici féliciter cette journaliste pour la fiabilité de ses informations et la déontologie dont elle a fait preuve en les présentant comme des certitudes alors qu'elle n'oserait jamais les publier sous peine d'être, à juste titre, poursuivie en diffamation. Et que dire de la crédulité de Joëlle Milquet ? Rien, ça vaut mieux... Renseignements pris auprès d'autres sources, cette chaîne de liens aurait fait l'objet d'une investigation après le 11 septembre mais le lien avec Al-Qaida n'a jamais été établi, sinon ça fait longtemps que cet établissement luxembourgeois figurerait sur les listes noires et aurait été fermé. Mais en fin de compte, l'ex-futur sénateur Mohamed Boulif, car c'est de lui qu'il s'agit, est devenu membre du nouvel Exécutif des Musulmans de Belgique, puis désigné par ses pairs président de celui-ci. Il sera donc, pendant au moins un an, l'interlocuteur officiel des autorités belges pour ce qui concerne le "temporel du culte islamique" (mosquées, aumôniers, professeurs de religion, imams etc.). Et en tant qu'homologue du Cardinal Danneels et du Grand Rabbin Guigui, il aura peut-être même une meilleure place protocolaire pour le défilé du 21 juillet que la cheffe de groupe d'un parti d'opposition !

Pierre-Yves Lambert
chercheur indépendant
gestionnaire du site http://www.suffrage-universel.be