Le Vlaams Blok et les Juifs anversois: un jeu de séduction inattendu
Le Vlaams Blok et les Juifs anversois: un jeu de séduction inattendu
Pierre-Yves Lambert, 13 septembre 2003
(Liste de diffusion Suffrage Universel et IndyMedia)
Pendant longtemps certains ont considéré comme allant de soi que les Juifs anversois étaient, de par leur expérience historique, des alliés naturels des antifascistes, et que le Vlaams Blok, de par sa genèse, ne pouvait qu’être antisémite. C’était sans compter sur le machiavélisme de Filip Dewinter combiné à la perception par une partie des Juifs d’une recrudescence des actes antisémites et de l’hostilité généralisée des partis traditionnels envers l’Etat d’Israël.
Déjà depuis des années certains leaders d’opinion de la communauté adoptaient une attitude ambiguë, voire plutôt favorable au Blok, comme Louis Davids, du Belgisch-Israëlitisch Weekblad. Mais en avril 2002, dans la foulée du président du Conseil Représentatif des Israélites de France (CRIF) qui s’était félicité de ce que le score de Le Pen allait enfin inciter les Arabes de France à se tenir tranquille, l’ancien échevin VLD anversois André Gantman, déclare dans plusieurs médias flamands, en tant que politicien juif, que le Blok est devenu le parti le plus apprécié par la communauté juive pour ses positions anti-islamistes et pro-israéliennes, et finit par accepter des invitations à des rencontres organisées par le Vlaams Blok avec Filip Dewinter, rompant ainsi le cordon sanitaire.
Il s’agit d’un refrain connu, déjà décliné par l’ambassadeur de Belgique à Tel Aviv, Wilfried Geens, dans une interview au Jerusalem Post en juillet 2001, mais aussi à la même époque par l’ambassadeur israélien à Paris, Elie Barnavi[1], puis par son homologue à Bruxelles, Shaul Amor [2]: certains partis tenteraient de capter l’”électorat arabo-musulman”, numériquement plus important que l’”électorat juif”, en adoptant des positions de plus en plus hostiles à Israël. De là à en conclure que le salut viendra du soutien de cet “électorat juif” aux partis les plus hostiles aux “Arabo-Musulmans”, il n’y a qu’un pas.
Une offensive de charme bilingue néerlandais-yiddish a donc été menée pendant cette campagne des législatives par le Blok en direction des Juifs anversois, en particulier des plus religieux, qui parlent principalement le yiddish et s’intéressent en général fort peu à la politique belge mais sont souvent les premières victimes, de par leur visibilité vestimentaire, d’agressions antisémites.
Elle a atteint une telle ampleur que des politiciens juifs des partis traditionnels, le conseiller communal VLD Claude Marinower, lui-même candidat à la Chambre, et le député SP.A Fred Erdman, qui ne se représentait pas, ont organisé quelques jours avant les élections, sous la houlette du Forum der Joodse Organisaties une rencontre électorale dans les locaux d’Agoudat Israël (parti religieux orthodoxe). Des places séparées pour les hommes et pour les femmes avaient été prévues afin d’attirer des Juifs religieux, en vain puisque seules 50 personnes se déplacèrent [3].
En fin de compte, Claude Marinower est devenu député avec 7.899 voix de préférence, sur un électorat juif anversois estimé par le Belgisch-Israëlitisch Weekblad à environ 12.000 voix. Et le B.I.W d’ajouter que “ A l’incompréhension et la déception de beaucoup (cela a d’ailleurs mené à une soirée d’information convoquée à la hâte par le Forum) le Vlaams Blok a pour la première fois aussi engrangé des votes juifs, principalement en provenance de milieux fortement religieux. Cela est indubitablement lié aux positions de ce parti quant aux événements antisémites dans ce pays et au conflit israélo-palestinien. Reste à savoir si ces prises de position n’avaient pour but que d’engranger des voix juives.” [4].
Notes
- ↑ Elie Barnavi, "Propos d'un " ami " français", Le Monde, 7 août 2001 (accès réservé aux abonné·es)
- ↑ Serge Dumont et Agnès Gorissen, “Le contentieux israélo-belge s'alourdit”, Le Soir, 28 août 2001 (accès réservé aux abonné·es), propos de Shaul Amor (“il existe en Belgique un groupe de pression palestinien qui s'appuie sur les 400.000 Marocains résidant dans ce pays. Certains d'entre eux sont fort impliqués dans la politique locale: au Parlement national, au Sénat, dans les parlement régionaux “) auxquels avait répondu dans une carte blanche la députée Fatiha Saïdi (à l’époque Ecolo), “Moyen-Orient : du lobbying pour la paix ? Assurément !”, Le Soir, 6 septembre 2001 (accès réservé aux abonné·es)
- ↑ Rachel Levy, “Did Jewish vote help Belgian rightists? (ancien titre: "Belgian rightists gain in elections and some thank Antwerp’s Chasidim")”, Jewish Telegraphic Agency, 20 mai 2003
- ↑ “De Belgische parlementsverkiezingen en de joodse gemeenschap”, paru dans le BIW et reproduit sur le site Joods.nl, 22 mai 2003