Candidats allochtones: quelques réflexions pour ne pas faire dans l'angélisme

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Pierre-Yves Lambert, août 2000
(Article refusé par Nouvelle Tribune)

1. La question du choix des candidats par les partis

Lors des législatives et des régionales de juin 1999, on a pu constater, surtout à Bruxelles, l'explosion des candidatures d'origine maghrébine, turque ou congolaise sur quasiment toutes les listes, candidatures rebaptisées "ethniques" par certains journalistes... dans un pays où tous les partis sont constitués sur des bases ethniques !

Plusieurs partis, en particulier les socialistes et les écologistes flamands, ont clairement déclaré ces derniers mois qu'ils souhaitaient désormais présenter des listes plus ouvertes aux femmes, aux jeunes, aux allochtones et aux "candidats d'ouverture" (non membres des partis). Le SP a même mis sur pied en son sein une "Equipe de l'Egalité des Chances" (Gelijke Kansen Team) coordonnée par l'ancienne ministre pour l'Egalité des Chances du gouvernement flamand, Anne Van Asbroeck, entourée d'Anissa Temsamani (candidate à Malines), d'Anne-Marie Baecke et de Peter De Ridder, avec pour objectifs (source: site internet du SP):

  • de rechercher, tant à long (2003-2004) qu'à court terme (élections d'octobre 2000), pourquoi si peu de femmes, de jeunes et d'allochtones sont pris en considération au SP.
  • de formuler des propositions et des mesures concrètes pour éliminer ces obstacles structurels et factuels.
  • d'élaborer et de mettre en oeuvre du Plan d'action pour s'assurer que dès après les élections communales le nombre de femmes, de jeunes et d'allochtones élus se sera accru de façon significative.

Parmi les objectifs immédiats, cette équipe propose que chaque fédération du SP devrait compter au moins un élu d'origine étrangère en plus qu'en 1994. Six mois avant les élections, sur 3.057 candidats connus, il y avait 1214 femmes (39,7 pourcents, soit plus que le minimum légal d'un tiers), 946 jeunes (30,9 pourcents) et 49 allochtones (1,6 pourcents). En 1994, il n'y avait pas dix élus allochtones sur un millier de conseillers communaux SP, même en incluant les élus d'origine italienne ou centro-européenne... Par comparaison, Agalev en comptait huit sur 280 élus, soit 4% (source: site internet d'Agalev).

Au CVP, il faut noter que la deuxième place sur la liste à Anvers a été attribuée à la conseillère communale sortante Nahima Lanjri (8ème en 1994), derrière l'ancien président du parti, Marc Van Peel. Rappelons que l'année dernière Madame Lanjri avait réalisé le deuxième meilleur score de la liste CVP (7.878 voix) aux élections régionales (5.254 en 1995), mais n'avait pas été élue, ne figurant qu'à la cinquième place. Pour mesurer le chemin parcouru, il n'est pas inintéressant de rappeler ce qu'elle écrivait il y a deux ans dans son livre à propos de sa première candidature aux communales en 1994:

"En tant que fille maroco-belge sur une liste CVP, tu restes naturellement une intruse. Les Pays-Bas sont habitués de longue date à voir des noms exotiques sur les listes des partis. Mais en Flandre tu te sens encore en tant qu'immigrée dans un parti traditionnel comme un petit singe dans un bal costumé. L'establishment politique et l'opinion publique doivent encore se faire à l'idée de la présence d'allochtones. Ce n'est pas qu'ils ne veulent pas t'accepter, mais ils sont un peu mal à l'aise. C'est surtout la vieille garde qui hausse les sourcils. Je crois que certains se sentent même quelque peu menacés: une musulmane dans une formation flamande démocrate-chrétienne. Pour apaiser leur mauvaise conscience, certains au CVP me demandent - comme si de rien n'était - si je suis devenue catholique. "Tu t'es convertie ?", c'est comme ça que ça sonne, avec leurs yeux détournés, mais leurs oreilles dressées." (Nahima Lanjri, Zonder Omwegen (Sans détours), Anvers: Icarus, 1998, p.28)

2. La question du choix des élus par les électeurs

Lors des élections de 1999, pas mal de candidats allochtones ont mené des campagnes électorales très actives, avec distributions de tracts sur les marchés et affichages sur les vitrines des commerçants, émaillées d'accrochages, surtout entre ceux du PS. Ces campagnes ont été très visibles en région bruxelloise surtout, mais aussi à Anvers. Un candidat PS non élu (qualité qui ne fut mentionnée ni par lui-même ni par la responsable de l'émission, notons-le) exprima des commentaires assez désabusés à la radio après ces élections, où le PS était passé de 17 à 13 élus, mais ses conseillers régionaux d'origine maghrébine de trois à quatre !

"Je pense que certaines personnes issues de l'immigration qui ont été mises sur ces listes n'ont pas spécialement la compétence, n'ont pas l'assise politique pour mener justement ces dossiers. Et donc je pense qu'ils font du tort autant à ces gens de la communauté qui votent pour eux, autant pour eux-mêmes puisque finalement ils vont servir simplement, je dirais de marionnette et de presse-boutons. Donc le critère ethnique, me semble-t-il, n'est pas du tout suffisant. Il faut absolument allier l'ethnicité à la compétence. Alors c'est vrai qu'aussi il faut remarquer que les personnes issues de l'immigration ont été mises sur des listes. Alors certaines personnes issues de l'immigration avec beaucoup d'ambition peut-être pour avoir un certain pouvoir.. Malheureusement les partis aussi ont mis ces personnes issues de l'immigration comme des faire-valoir pour finalement attraper des voix. Et ça je trouve ça dommage. Je pense sincèrement et je me demande comment finalement les partis politiques arrivent à sélectionner ces candidats." (Amidou Si M'hamed, dans l'émission "C'est vous qui le dites", RTBF - Radio Une - Matin Première, 21 juin 1999)

Une réflexion du maître à penser de nombreux Musulmans d'Europe, Tariq Ramadan, s'adresse très clairement tant aux électeurs qu'aux directions de partis, les mettant en garde contre certaines méthodes de pêche aux voix dans les associations musulmanes et les mosquées:

"Il ne suffit pas qu'une femme ou qu'un homme ait un nom à consonance indo-pakistanaise, maghrébine ou, plus largement, musulmane, pour que le fait de le choisir soit justifié. La référence musulmane commande à notre conscience, comme la raison démocratique dicte à notre intelligence que les véritables critères de l'authentique choix citoyen (en matière d'élection par exemple) sont fondés sur l'honnêteté et la compétence du candidat, qu'il soit musulman ou non. Il s'agit d'éviter absolument les postures fermées qui pensent le champ politique comme un espace d'expression des aspirations communautaires, entre soi, contre les autres." (Tariq Ramadan, "La citoyenneté, des exigences, un délai", La Médina, n°4, février-mars 2000, pp.48-49)

3. L'ambiguïté malsaine de certains politiciens à l'égard de leur pays d'origine

On aurait pu espérer que les fantasmes de "cinquième colonne", de "lobby étranger" à propos des candidats et élus d'origine étrangère resteraient cantonnés dans la presse d'extrême-droite autochtone, mais force est de constater que certains, par des déclarations à la presse de leurs pays d'origine ou par des actes concrets, ont largement transformé ces fantasmes en réalité concrète, d'ailleurs attestée par la presse desdits pays d'origine, comme en témoignent les extraits ci-après. Force est également de constater que des politiciens "bien de chez nous", principalement au PRL, n'ont pas ménagé leurs efforts pour apparaître aux côtés de ces nouveaux lobbyistes dans des contextes ne laissant aucun doute quant aux relations entretenues avec les autorités des pays d'origine.

"Pour tous les candidats [d'origine algérienne aux élections belges de 1999], il est clair qu’ils tentent, en plus de leur mission d‘élus belges (en cas de victoire), de mener un travail de rapprochement avec le pays d’origine, l’Algérie. Ils sont conscients qu’ils peuvent influer sur les décisions politiques et économiques en faveur de l’Algérie. A titre comparatif, les Marocains, qui sont assez nombreux dans les institutions élues, constituent un véritable lobby qui défend l’intérêt de leurs concitoyens (300 000) vivant en Belgique et les intérêts commerciaux du Maroc." (M’Hammedi Bouzina, "Belgique - Des Algériens candidats aux élections du 13 juin", El Watan (Alger) 2 mai 1999)
[En mai 1999, en pleine campagne électorale belge, Driss Basri, ministre de l’Intérieur marocain, préside à Bruxelles, la cérémonie d’inauguration du deuxième Salon marocain du Bénélux Contact 99] "La cérémonie s’est déroulée en présence du bourgmestre de Bruxelles, M. Xavier de Donnea, ancien ministre belge de la Défense, du secrétaire général du ministère belge de l’Intérieur, M. E. Beyens, du bourgmestre d’Ixelles (Bruxelles), du président du parti libéral belge, M. Louis Michel, des députés belges d’origine marocaine, MM. Mohamed Daif (socialiste) et Mostafa Ouezekhti (libéral), de l’ambassadeur du Maroc à Bruxelles, M. Rachad Bouhlal, et du corps diplomatique arabe accrédité en Belgique et à sa tête son doyen, l’ambassadeur du Koweït, ainsi que des consuls généraux du Maroc à Bruxelles, Anvers et Liège et de plusieurs centaines de ressortissants marocains en Belgique. (...) A l’issue de cette cérémonie, les représentants de la communauté marocaine ont chargé M. Basri de transmettre à S.M. le Roi Hassan II l’expression de leurs liens indéfectibles à son Auguste Personne et au Trône Alaouite en réitérant et en réaffirmant la mobilisation permanente de la communauté marocaine en Europe derrière la devise ‘’Dieu, la Patrie, le Roi’’. " (Le Matin du Sahara et du Maghreb, 10 mai 1999]
"D’après le quotidien Hürriyet du 29 mai 1999, le président du Conseil régional de Bruxelles M. Armand De Decker et le bourgmestre de la Ville de Bruxelles M. Xavier Donnea ont tenu une conférence de presse au siège de l’Association des d’hommes d’affaires turcs en Belgique (TUSIAD) pour annoncer leur soutien aux candidats PRL d’origine turque (...) M. Sabih Akay, qui se présente comme le seul candidat d’origine turque ayant une expérience à haut niveau dans l’Etat belge, a fait la déclaration suivante au quotidien Milliyet du 29 mai 1999: "Si je serai élu au parlement, je ferai le premier pas en vue de créer un lobby turc qui n’existe pas actuellement."
Le choix du lieu de la conférence de presse du PRL est significatif, car la TUSIAD est connue comme un des piliers du lobby du régime d'Ankara en raison des relations lucratives des hommes d'affaires belges avec leurs homologues turcs." (Info Türk, "Chevaux de Troie du régime turc sur les listes électorales belges (II)", 3 juin 1999)
"La délégation de parlementaires belges [PRL-FDF et PS] d’origine marocaine, est arrivée dimanche soir au Maroc pour une visite dans le Royaume à l’invitation du président de la Chambre des Représentants. Au cours de cette visite, qui se poursuivra jusqu’au 6 avril, les parlementaires belges auront une série de contacts, notamment à la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger, au ministère des Affaires étrangères et de la Cooperation, et à la direction des investissements extérieurs, et à la CGEM, ainsi qu’avec des représentants de la société civile." "Le Maroc compte beaucoup sur les députés européens d’origine marocaine pour défendre ses causes et renforcer ses relations avec les pays de l’Union Européenne (UE), a déclaré, lundi à Rabat, le premier vice-président de la Chambre des Représentants, M. Abdelaziz Alaoui Hafidi. Un tel rôle ne peut qu’être décisif dans l’exercice d’un lobbying en faveur du Maroc auprès de l’Europe, notamment en ce qui concerne l’instauration d’un véritable partenariat avec l’UE, a souligné M. Alaoui Hafidi lors d’un entretien avec une délégation de parlementaires belges d’origine marocaine, en visite actuellement dans le Royaume. M. Hafidi a appelé les mandataires belges à ne ménager aucun effort pour défendre les causes du Maroc, à leur tête l’intégrité territoriale du Royaume et à œuvrer afin d’acculer à l’échec les manœuvres de ses ennemis." "Les membres de la délégation ont exprimé, de leur côté, leur volonté d’apporter leur soutien s’agissant de la défense des intérêts du Maroc auprès des instances européennes" (Le Matin du Sahara et du Maghreb, extraits d'articles parus les 6 et 8 avril 2000)

Toutefois, d'autres élus rejettent clairement ce genre d'ambiguïtés, il convient de le souligner:

"En tant que parlementaires belges et bruxellois, nos électeurs nous ont mandatés pour des objectifs précis et c’est au nom de ce pacte avec l’électeur que nous fondons notre action politique, non sur nos origines communes. Il va de soi que pour nous, l’identité ethnique ne peut tenir lieu d’horizon politique. La conséquence immédiate de cette position est que nous refusons de jouer le rôle d’une courroie de transmission politique ou d’un lobby, pour nos pays d’origine. Ceci étant, nous considérons qu’il est de notre devoir de soutenir les causes justes de la société civile marocaine et particulièrement lorsque ces causes ont des conséquences immédiates sur les immigrés marocains qui vivent dans notre pays.
Une telle mise au point en ce qui concerne les rapports avec le pays d’origine est nécessaire afin de couper court aux propos qui pourraient jeter une suspicion au sujet de la loyauté d’une catégorie d’élus envers les institutions de notre pays, la Belgique." (Fatiha Saïdi, conseillère régionale Ecolo, communiqué de presse du 12 avril 2000)
"Plutôt que de demander aux élus d'origine marocaine de défendre les intérêts marocains en Europe, le Maroc devrait défendre les intérêts des femmes marocaines en Europe, notamment en ce qui concerne les rapts d'enfants et les mariages forcés, c'est ça la priorité." (Fatima Bali, conseillère communale Agalev à Anvers, lors d'une conférence de presse le 26 avril 2000)