Candidat.e.s d'origine non-européenne du Front national (français)/JA1988

De Suffrage Universel
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Parti raciste et xénophobe, le Front National compte plusieurs milliers d’adhérents originaires des DOM-TOM. Inconscience ou masochisme ?

Ces Noirs qui aiment Le Pen...

par Mamadou Bah
Jeune Afrique, n° 1978, 8 décembre 1998

Il y a des Noirs au Front National. La preuve, j’en ai rencontré. Comme tout le monde, je m’interrogeais : comment peut-on être « de couleur », pour reprendre l’expression favorite des incolores amis de Jean-Marie Le Pen, et sympathiser avec un parti ouvertement raciste et xénophobe ? Comment peut-on être noir et/ou musulman et voter pour des hommes convaincus que la nation française est, par essence, « de race blanche et de religion chrétienne » ? Il nous a paru intéressant d’interroger les représentants de cette « minorité ethnique ».

Bien entendu, personne n’est dupe : ceux qui rêvent de mettre les immigrés dehors ont tout intérêt, pour se « dédiaboliser » et paraître plus présentables, à admettre dans leurs rangs quelques spécimens exotiques : des Français d’origine africaine, maghrébine ou antillaise. Un peu comme ces clubs ultraconservateurs d’Angleterre qui exhibaient volontiers leur « Nègre de service » : « My dear, vous voyez bien, nous ne sommes pas racistes, il y a un colored parmi nous. »

Combien sont-ils, ces atypiques du FN ? Difficile à dire, la direction se refusant à communiquer des chiffres. Seule certitude : ils sont de plus en plus nombreux et pourraient, paradoxalement, contribuer à l’arrivée au pouvoir de ce parti dont les dirigeants menacent d’expulser leurs frères de race. Comme au début des années trente certains Juifs ont collaboré avec les nationaux-socialistes, dont le programme était pourtant violemment antisémite. S’agissait-il d’un pari ? D’une sorte d’assurance-vie pour le cas où les nazis arriveraient au pouvoir ? On connaît la suite...

Les discours des « penseurs » lepénistes sont pourtant sans équivoque. Déjà, ils établissent une hiérarchie entre les titulaires d’un passeport français. Il y a ceux qui en ont hérité : les Français de souche. Ceux qui l’ont mérité, parce qu’eux-mêmes ou leurs parents ont versé leur sang pour la France. Et puis tous les autres, bénéficiaires d’une naturalisation à leurs yeux usurpée.

Le schéma est, somme toute, assez classique : celui qui se sent rejeté, et qui, malgré tout, persiste à vouloir être admis dans le groupe a tendance à se montrer plus royaliste que le roi. « Quand on est perçu par d’autres comme un étranger, souligne Serge Faubert, journaliste à L’Événement du jeudi et spécialiste du FN, on se croit d’autant plus intégré qu’on milite dans un parti nationaliste : c’est la raison pour laquelle on retrouve des Portugais, des Espagnols, des Italiens, des Maghrébins et des Antillais au Front National. Tous plus fiers d’être français que les véritables descendants de Gaulois ! »

Dans les Départements et territoires d’outre-mer (DOM-TOM), Le Pen n’a pas vraiment la cote. À plusieurs reprises, en Guadeloupe et en Martinique, des manifestants ont empêché l’atterrissage de son avion. Une sorte d’interdiction de séjour. La plupart des Antillais qui militent au FN vivent en métropole. Ils s’opposent aussi bien aux Maghrébins, dont ils condamnent le comportement en France, qu’aux Africains noirs, dont ils souhaitent à tout prix se différencier. Qui sont donc ces Noirs qui se sentent Français d’abord ?


Portraits.

Paul Tilin, l’élu réunionnais.

Vendredi 2 octobre, 18 heures. L’homme qui vient de franchir le sas de sécurité du siège parisien du Front National sans éveiller la méfiance des réceptionnistes n’a pas vraiment le type français. Il est bronzé, très bronzé. Il embrasse l’un de ses « camarades », serre la main d’un autre et se dirige vers une salle située au fond du couloir. Paul Tilin a l’habitude de donner un coup de main bénévole au parti, en début de week-end. Ce soir, on lui propose de coller des étiquettes sur des enveloppes destinées aux adhérents.

Conseiller municipal FN de Mantes-la-Jolie, dans la banlieue parisienne, Paul Tilin, taille moyenne et calvitie naissante, paraît calme et chaleureux. Il ressemble à un Arabe. En fait, il est réunionnais, né d’un père malgache et d’une mère française. À 60 ans, il affirme « en avoir vu de toutes les couleurs » et avoir « beaucoup bourlingué ». Après son service militaire, à 19 ans, il s’engage comme parachutiste dans l’armée française et part à la découverte du monde : Algérie française, Tunisie, Afrique noire, et même Afrique du Sud. À 36 ans, il quitte l’armée avec le grade d’adjudant. Pas très glorieux : « J’avais tendance à l’ouvrir un peu trop, dit-il. Je dis toujours ce que je pense. » Il est embauché par une entreprise travaillant dans le secteur de l’armement et de la défense.

C’est presque par hasard qu’il a rejoint les rangs du mouvement de Jean-Marie Le Pen. Il souhaitait faire de la politique, mais les réunions du Parti communiste et du Parti socialiste l’ennuyaient. En 1986, c’est la révélation. « Je me promenais à Mantes-la-Jolie, raconte-t-il, lorsque je suis tombé sur une permanence du FN. Il y avait une réunion. Je suis entré et l’assistance, composée exclusivement de Blancs, s’est retournée en bloc vers moi. Stupéfaite. Après quelques secondes, ils se sont à nouveau concentrés sur le conférencier. Ce que celui-ci disait correspondait exactement à mes idées. À la fin de son discours, il est venu discuter avec moi. Aussitôt, la méfiance des militants est tombée. Tout le monde s’est montré très sympathique avec moi. J’ai adhéré immédiatement. »

En quarante-deux ans de vie métropolitaine, il n’est retourné que deux fois dans sa Réunion natale. « Je suis claustrophobe, dit-il, alors, vous pensez, une île avec rien autour... » Il déplore la nouvelle vague d’immigration réunionnaise : « des Indiens, des Tamouls, des Malgaches et des Comoriens », autrement dit « des paresseux attirés par le Revenu minimum d’insertion (RMI) ».

Tilin connaît plusieurs Noirs du FN. Certains sont devenus ses amis. L’un d’eux est un Zaïrois de 60 ans, un « Français de cœur qui a compris qu’on peut aider les immigrés, mais pas en masse ». Il est favorable à l’envoi de machines agricoles en Afrique et au retour dans leur pays des cerveaux qui ont fui un continent « dont les richesses ont tant aidé au développement des pays occidentaux ».

Le conseiller municipal est formel : le racisme existe, en France, mais pas au FN. La preuve ? « Quand elle me voit, Mme Le Pen m’embrasse. » Laquelle Jany Le Pen déclarait récemment à l’hebdomadaire Le Point : « Les braves gens du Front, quand je les embrasse, j’oublie complètement qu’ils sont moches. »

Stéphane Durbec, le jeune loup.

Au Front National depuis douze ans, Stéphane Durbec n’a pas sa langue dans sa poche : « Je parle avec mes tripes. Quand j’ai quelque chose à dire, je le dis. » À 27 ans, il est l’un des plus jeunes hommes politiques français et le seul élu « de couleur » du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Né en métropole d’un père antillais et d’une mère basque, il a été placé à l’Assistance publique dès l’âge de 2 ans et ne connaît pas ses parents biologiques : « Je n’ai pour eux aucun sentiment filial », dit-il. Son amour, il le réserve à ses parents adoptifs, un couple de Bretons installés à Marseille. Bien que de milieu modeste, le jeune Stéphane fréquente quelques-uns des établissements scolaires les plus réputés de Marseille. Baccalauréat, premier cycle à la faculté de droit d’Aix-en-Provence... À 24 ans, il est appelé sous les drapeaux et intègre la police militaire du 72e Régiment d’infanterie de marine, la fameuse Coloniale.

En 1988, deux ans après son adhésion au Front National de la jeunesse (FNJ), Durbec est nommé secrétaire adjoint, chargé de la propagande, pour la région de Marseille. Il est battu aux municipales de 1992, ce qui ne freine pas sa fulgurante ascension dans les instances dirigeantes du parti. Il devient le protégé de Jean-Marie Le Pen et, la même année, figure en quatorzième position sur la liste de Bruno Mégret aux élections régionales. Il n’est pas élu, mais ce n’est que partie remise. À la fin de 1996, il fait son entrée au conseil régional, à la faveur d’une démission, et sera réélu en mars de cette année.

Comment explique-t-il l’attirance de certains Antillais pour le FN ? D’abord, par le désir de se différencier radicalement du flot des immigrés, avec lesquels ils ne supportent pas d’être confondus. Ensuite, par un besoin de sécurité, un désir de lien social, d’identité clairement définie. Enfin, par le patriotisme : « Nous, nous avons clairement choisi de rester français », dit-il.

Cette évolution ne plaît pas à tout le monde au sein de l’extrême droite française. Le FN est même parfois accusé – on croit rêver – de se transformer peu à peu en parti « multicolore et multiracial ».

Jacqueline S., la sympathisante martiniquaise.

Cette Antillaise d’une quarantaine d’années n’est pas membre du FN, simplement « sympathisante ». Son grand-père était blanc et elle a grandi dans une famille cosmopolite, avec, dit-elle, « des cousins blancs aux yeux bleus et des cousins noirs ». Elle est très remontée contre les Africains de France, qui, selon elle, « claquent l’argent des Assedic [assurance chômage] ou de l’aide au développement dans les boîtes de nuit et chez les Blanches ». Bref, les immigrés de fraîche date feraient aux Antillais une concurrence qu’elle juge déloyale : « Prenez un Martiniquais ou un Guadeloupéen : il a fait son service militaire et son grand-père est souvent mort à la guerre pour la France. Pourtant, il va être obligé de laisser ses deux ou trois enfants pour aller travailler, la nuit, comme infirmier. Et puis, il attendra longtemps avant d’obtenir un logement, car c’est un Africain, avec ses huit ou neuf enfants, qui sera prioritaire. »

Frank, le policier antillais.

Originaire, lui aussi, de la Martinique, Frank (35 ans) est grand et musclé, il est plutôt beau gosse. Son job : la surveillance du métro parisien. Son père est militaire et chiraquien. Sa mère professeur et lectrice assidue de Minute, une revue d’extrême droite. Il ne milite pas, mais connaît beaucoup de monde au FN, notamment des membres du service d’ordre. Des Noirs ? Oui, un ou deux, mais « juste de vue ». « Je n’ai pas d’amis africains, explique-t-il, je préfère encore les Maghrébins. Ce qui m’énerve le plus ? Quand j’arrête un Africain en flagrant délit et qu’il m’appelle "frère". Je lui réponds que je n’ai qu’un seul frère. Eux, ils vendent bien de la drogue à leurs frères de couleur ! »

Isabella, la « Spice Girl » lepéniste.

Née à Madagascar d’un père noir et d’une mère blanche, Isabella, depuis 1997, chante souvent dans les meetings du FN. Elle est chargée de chauffer la salle avant les discours de Jean-Marie Le Pen. Le CD de cette « Spice Girl du FN » porte la mention « Vu à la Télé ». Pourtant, dans l’une des chansons du même album, la chanteuse se lamente : « Vous ne me verrez jamais à la télé / Vous ne m’entendrez pas plus à la radio / Je suis la chanteuse qu’il faut boycotter. » La paranoïa habituelle...

Dans son enfance, Isabella la métisse a été confrontée au racisme. De la part des Blancs, bien sûr, mais aussi des Noirs. Grâce au FN, elle se sent confortée dans sa citoyenneté française. Un sentiment d’intégration renforcé par la protection presque paternelle, pour ne pas dire paternaliste, dont bénéficient, paraît-il, les adhérents « de couleur ». Elle soutient n’avoir « jamais observé la moindre manifestation raciste ou xénophobe » dans le parti. Affirmation partiellement infirmée par Martin Peltier, directeur de la rédaction de National Hebdo, le journal du Front: oui, explique-t-il, il y a bien du racisme au Front, mais « ni plus ni moins qu’ailleurs ».

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