Élections municipales néerlandaises de 1998/Bijlmer

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Électeurs, candidats et élus d'origine non-européenne aux Pays-Bas
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Les élections de 1998 au conseil de district d'Amsterdam Sud-Est ("Bijlmer")

Pierre-Yves Lambert
Suffrage Universel, juin 1998

Amsterdam est divisée en seize districts dotés de compétences assez étendues. "Amsterdam Sud-Est", qui inclut le quartier de Bijlmer, compte 85.000 habitants, dont 80% d'"allochtones" (personnes d'origine non néerlandaise). Environ un tiers de la population est d'origine surinamienne ou antillaise. Il n'y avait pas moins de seize listes en lice dont sept seront représentées dans le prochain conseil de 29 membres. Le district sera dirigé par une coalition entre sociaux-démocrates du PvdA (11 s.), libéraux du VVD (5 s.) et la Gauche verte (Groenlinks, 4 s.).

D'après la correspondante du Volkskrant (7/3/98), les électeurs de ce district auraient émis des votes en faveur de candidats de leurs groupes ethniques respectifs. Les électeurs "noirs" pour des candidats "noirs", les "blancs" pour des "blancs". C'est ainsi que trois Ghanéens font leur entrée dans le conseil grâce aux votes de préférence de leurs compatriotes.

Par contre, aucune des listes "noires" ou "ethniques" n'a franchi le seuil nécessaire pour décrocher un siège, même pas Emile Esajas (cf. Nouvelle Tribune n°17), ancien échevin du parti D66 (libéraux de gauche) qui comptait pourtant de nombreux partisans parmi les Surinamiens du district. Par contre, une dissidence "blanche" de D66, "Leefbaar Zuidoost" (Sud-Est vivable) sera représentée par deux élus.

Quatorze des vingt-neuf conseillers sont "d'origine non néerlandaise", la proportion étant la plus forte au sein du groupe PvdA où sept des onze membres sont noirs. C'est la conseillère PvdA Hanna Belliot, une enseignante d'origine surinamienne âgée de cinquante et un ans, qui est devenue "bourgmestre" du district, ou plus précisément présidente du conseil de district. Cette membre de fraîche date du PvdA a mené une campagne très active avec son directeur de campagne, le champion de sprint Sammy Monsels, et son groupe d'appui, les "Hannah's Sisters", en invitant ses électeurs potentiels à s'auto-organiser et à prouver qu'ils méritaient d'être soutenus et qu'ils ne voulaient pas se contenter de dépendre des subsides.

Elle a recueilli cinq mille voix de préférence, émises par des Surinamiens, mais aussi, selon l'envoyé spécial du quotidien flamand De Morgen (Erik RASPOET, "Black Power in de Bijlmer", De Morgen 14/3/98), "de nombreux Hollandais ont voté pour Belliot, de même que des Ghanéens, des Pakistanais, des Indonésiens et d'autres étrangers qui jouissent du droit de vote municipal aux Pays-Bas depuis déjà mars 1986". L'intéressée a d'ailleurs tenu à déclarer que "nous n'avons en aucune manière mené une campagne sur une base ethnique; ce résultat montre que les habitants d'Amsterdam Sud-Est rejettent une politique sur cette base".

La campagne a été très dure pour Madame Belliot, que certains adversaires ont qualifiée de "Bounty" (comme la barre chocolatée: noire à l'extérieur, blanche à l'intérieur) et que des lettres anonymes ont accusée d'implication dans des affaires de pornographie pédophile ou de corruption, ou encore de sympathie pour le dictateur surinamien Bouterse. Ce type de campagne est qualifié par un journaliste du crû de "mentalité de panier de crabes": "à chaque fois qu'un crabe réussit à se hisser jusqu'au bord du panier, il y est ramené par les autres"...

Le "Hindoustani" André Bhola et le Ghanéen Adusei ont obtenu les meilleurs scores sur la liste du PvdA après celui de Hannah Belliot, le Ghanéen Sekyere sur celle de Groenlinks, alors que ce candidat figurait en dernière place sur la liste. Par contre, les candidats ghanéens sur les listes de D66 et du CDA ont recueilli des scores négligeables, ce qui a beaucoup déçu le conseiller CDA sortant Jan de Jonge, qui a estimé avoir été lâché par "ses" Ghanéens. "Brother Jan" avait pourtant mené campagne dans les quelques soixante églises africaines, caribbéennes et autres à Bijlmer, où il avait pu s'exprimer pendant la célébration du culte. Mais les 523 voix exprimées en sa faveur ne lui ont pas suffi pour se faire réélire (le CDA a deux sièges dans le nouveau conseil).

Contexte urbanistico-historique

source : Erik RASPOET, "Black Power in de Bijlmer", De Morgen 14 mars 1998 (traduction/synthèse: P.Y. Lambert, juin 1998)

Amsterdam Sud-Est était au départ un projet urbanistique des années soixante, créé sur des polders (terres récupérées sur la mer) dans la banlieue d'Amsterdam et dont les architectes avaient pris Le Corbusier pour modèle. Comme dans les "villes nouvelles" des banlieues françaises... Les gigantesques cages à lapin ainsi édifiées à partir de 1966 se remplirent d'abord sans difficulté, étant donné la pénurie de logements qui régnait à l'époque. Suite à une mauvaise gestion et à la lassitude des habitants pour la monotonie de l'architecture, cette ville-dortoir commença à se dépeupler et accueillit, au milieu des années soixante-dix, une partie des quelques 150.000 Surinamiens (la moitié de la population) qui s'installèrent aux Pays-Bas lors de l'accession de leur pays à l'indépendance. Le qualificatif de "Petit Surinam" qui fut pendant longtemps accolé au quartier est devenu au fil des ans un cliché périmé, avec l'arrivée de cinq mille Ghanéens, d'à peu près autant d'Antillais, de Pakistanais, de Nigérians et d'Indonésiens.

La polarisation de la vie politique locale sur un axe Blancs-Noirs a été déclenchée il y a quelques années à l'occasion de la mise en chantier d'un ambitieux - et coûteux (6 milliards de francs français) - projet de réaménagement urbain baptisé "Fer de lance", dont le comité de pilotage était exclusivement composé de "Blancs". D'où la mise sur pied, il y a deux ans, d'un groupe d'activistes, "Réflexion noire" (Zwart Beraad), qui exigea un droit de regard et de codécision sur le projet "Fer de lance". Un de ses cofondateurs, Roel Luqman, "musulman hindoustani d'origine surinamienne" (sic), se plaint notamment de l'absence d'entrepreneur noir parmi les firmes qui ont décroché les contrats: "Tous les contrats sont allés à des entreprises blanches, alors qu'ils disent vouloir promouvoir l'emploi à Bijlmer. (...) La précédente direction du district n'a rien fait pour les Noirs: qu'est-ce que vous voulez, tout le pouvoir était entre les mains des Blancs de la Côte dorée, les quartiers chics de Bijlmer. Ces gens n'en ont rien à cirer de ce qui se passe dans les buildings: si on les lâchait dans ce quartier, ils s'y perdraient". D'après lui, c'est grâce au Zwart Beraad qu'Hannah Belliott a été élue "bourgmestre": "c'est grâce à nos critiques que le PvdA s'est senti obligé de jouer la carte d'une tête de liste noire: c'est un tournant historique, Hannah prouvera que des Noirs peuvent aussi bien gérer que des Blancs. Bien entendu, la politique n'est qu'une première étape: la bureaucratie et les entreprises doivent elles aussi renverser la vapeur et donner des chances égales aux Noirs."

Pour certains par contre, le PvdA n'a fait qu'utiliser la carte ethnique pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir, et rien ne changera de toute façon. Hannah Belliot, tout en reconnaissant que "bien entendu nous avons contribué à maintenir le PvdA au pouvoir", estime que "c'est une bonne chose pour la démocratie, sinon tous les Noirs voteraient pour des petits partis de protestation ("frustratiepartijen"), et où en serions-nous ? On continuerait à regarder le fonctionnement politique au travers du prisme noir-blanc. Non merci, je choisis plutôt une perspective de lutte des classes: combattre le retard et la pauvreté, c'est ça mon programme. Et que cette pauvreté soit noire ou blanche, ça ne m'intéresse pas."

Quelques bons conseils de Madame la Bourgmestre (qui, rappelons-le, est enseignante de formation...) à certains mauvais élèves de l'Union Européenne: "l'émancipation des minorités dépend de leur représentation dans les structures de pouvoir locales. On ne peut pas isoler les allochtones du reste de la société, sinon c'est comme si on met une marmite sous pression, à un moment ou à un autre elle surchauffe." La politique progressiste d'intégration à la néerlandaise "n'a rien à voir avec l'idéalisme: c'est juste une extension de l'esprit commerçant hollandais. Regardez, les Néerlandais sont très orientés vers les affaires, ils recherchent le profit dans n'importe quelle situation. C'est aussi comme ça qu'il en va pour l'intégration des minorités: tant que les allochtones croupissent dans la marginalité, ils ne font que coûter de l'argent à la société. Il s'agit donc de les rendre productifs dans les meilleurs délais."