Élections municipales néerlandaises de 2006

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Partis musulmans - Listes allochtones
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Le vote travailliste des électeurs allochtones fait-il du PvdA le "Partij van de Allochtonen" ?

Pierre-Yves Lambert Suffrage Universel (liste), 22 mars 2006

Les élections municipales néerlandaises ont eu lieu il y a deux semaines, le mardi 7 mars, et les premiers commentaires ont souligné les gains considérables enregistrés par le parti travailliste PvdA ( Partij van de Arbeid, Parti du Travail) et par le parti d'extrême-gauche SP au détriment des partis locaux et de la coalition gouvernementale de droite composée des libéraux de droite du VVD, des démocrates-chrétiens de droite du CDA et des libéraux centristes (ex-"libéraux de gauche") de D66.

Assez rapidement, certains commentateurs, encouragés par la publication d'études préélectorales, mais aussi de sondages à la sortie des urnes et d'analyses des résultats, ont commencé à insister fortement sur le rôle prépondérant qu'auraient joué les électeurs allochtones, en particulier "musulmans", dans cette victoire de la gauche. A tel point qu'on a vu fleurir dans les discussions sur internet l'expression "Partij van de Allochtonen" (Parti des allochtones) qui, selon certains, reflèterait mieux l'abréviation PvdA.

Pourtant, comme aux élections précédentes, diverses listes plus ou moins marginales avaient elles-mêmes tenté de se profiler comme "partis allochtones" ou "partis musulmans", Islam Democraten, pour lesquels Abou Jahjah avait appelé à voter dans cette ville, et Solidair Nederland, menée par un médecin populaire chez les Indo-Surinamiens, à La Haye, qui ont chacun obtenu un siège avec des scores d'environ 3%, le Democratische Eenheids Partij ("Parti d'Unité Démocratique") à Weesp (près d'Amsterdam) qui n'en a décroché aucun malgré ses 6%, Duurzaam Nederland ("Pays-Bas durables") qui sera par contre représenté par un élu turc au conseil communal d'Oss (ville de 70.000 habitants entre Nimègue et Tilburg, à 20 km de la frontière allemande), où la plupart des autres partis ne présentaient aucun candidat allochtone (y compris le PvdA), certains en ayant placé un très bas pour "colorer" la liste.

A Rotterdam, l'Islamitische Partij Nederland et De Rotterdamse Bruggenbouwers (Les constructeurs de ponts rotterdamois) n'ont pas eu de succès (Het Parool 08/03/2006). Selon Trouw (09/03/2006), d'autres partis allochtones ont connu des échecs similaires à Amsterdam, Nimègue et Breda. Ce qui n'a pas empêché, deux semaines après les élections, un couple néerlando-iranien de formateurs de personnel d'annoncer la création d'un "Partij voor Allochtone Nederlanders" parce qu'ils trouvent que jusqu'ici "les allochtones sont beaucoup trop modestes", ce qui n'est assurément pas le cas des fondateurs du PAN, qui espèrent décrocher de 3 à 8 sièges à la Chambre l'année prochaine (Brabants Dagblad 20/03/2006)..

Mais selon l'Instituut van Migratie en Etnische Studies cité notamment dans le quotidien Het Parool (09/03/2006), 80% des 400.000 "allochtones non-occidentaux" (terme utilisé par le Centraal Bureau voor de Statistiek, CBS, l'INS/INSEE néerlandais) ayant participé au scrutin auraient voté pour les travaillistes, ce qui correspond à cinq sièges de députés, le reste ayant voté pour le SP ou pour Groenlinks (les Verts). Il faut toutefois rappeler que parmi ces allochtones il y a des citoyens néerlandais, mais aussi des étrangers qui n'ont le droit de voter qu'aux communales, pas aux législatives.

Selon le CBS, sur 11,8 millions d'électeurs potentiels pour ces communales, il y avait 18% d'allochtones (1,1 million d'"occidentaux", 1 million de "non-occidentaux"), dont 320.000 Allemands, 225.000 Surinamiens, 220.000 Turcs, 170.000 Marocains, 80.000 Belges, 80.000 Antillais, 50.000 Britanniques, 50.000 ex-Yougoslaves ( http://www.cbs.nl 20/02/2006).

Forum, l'Institut pour le développement multiculturel, avait annoncé dans une étude menée conjointement avec le bureau Motivaction en février que les taux de participation des électeurs allochtones (rebaptisés "Nouveaux Néerlandais") seraient plus élevés que par le passé, soit en moyenne 44%, avec des variations selon les pays d'origine: 52% pour les Turcs, 39% pour les Marocains, 42% pour les Surinamiens et 45% pour les Antillais. Il apparaissait que les électeurs allochtones votaient d'abord pour un parti en fonction des thématiq ues sociales, le plus souvent le PvdA et Groenlinks, ce dernier parti ayant peu de succès parmi les Surinamiens qui lui préfèreraient le CDA, et ensuite seulement pour un candidat de même origine sur la liste, tendance plus marquée chez les Turcs. Ces derniers, dans les enquêtes menées il y a quelques années par Jean Tillie de l'Instituut van Migratie en Etnische Studies (publiées notamment dans son ouvrage De etnische stem ), auraient plutôt eu tendance par le passé à voter pour un candidat de même origine quelle que soit l'orientation du parti pour lequel il se présentait. Le poucentage obtenu parmi les Turcs d'Arnhem pour le CDA paraît d'ailleurs plutôt conforter cette thèse, sinon comment expliquer que ce parti n'a recueilli que moins de 5% de suffrages à Amsterdam et Rotterdam ? Un des éditorialistes du quotidien Trouw, Sylvain Ephimenco, ancien correspondant de Libération spécialisé depuis des années dans la dénonciation obsessionnelle des dérives du multiculturalisme à la néerlandaise et du Péril islamique, n'a pas hésité à parler de "Partij van de Islam", qui formera selon lui après les élections législatives de 2007 une "coalition confessionnelle" avec le CDA. Ephimenco a même vu "l'imam fondamentaliste El Moumni voter PvdA" ( Trouw 09/03/2006).

Dans ses rêves probablement, puisque ledit Khalil El Moumni, qui avait notamment défrayé la chronique il y a cinq ans en déclarant dans un reportage télévisé que "l'homosexualité est une maladie nuisible pour la société" ( http://suffrage-universel.be/nl/nlmimuga.htm ), a bien été interviewé par l' Algemeen Dagblad (paru le 08/03/2006) le jour de l'élection. Et il a simplement déclaré que "voter est indispensable pour tout qui vit ici, surtout pour les minorités, c'est en effet la seule façon de combattre le racisme". Le journaliste, Abdel Ilah Rubio, lui a demandé pour qui il avait appelé à voter: "J'ai seulement dit que les gens devaient voter pour un parti qui défend les intérêts des minorités", et il a rigolé sans répondre quand l'autre a insisté pour savoir ce qu'il avait lui-même voté, "ce en quoi il est déjà drôlement bien intégré".

Mais le mal était fait, et le lendemain de la publication de l'édito d'Ephimenco, l'échevin d'un parti local d'Oudenbosch, dans la province du Nord-Brabant, s'en prenait au PvdA dans une interview au quotidien régional BN/De Stem (paru le 11/03/2006), arguant notamment du fait établi, dans son esprit, que "les imams ont appelé massivement à voter pour ce parti".

Tout au plus, l'association des imams des Pays-Bas (VIN), principalement marocaine, avait rendu public le 2 mars (e.a. dépêche de l'agence de presse ANP publiée dans l'Algemeen Dagblad du 03/03/2006) le communiqué de presse suivant: "Le citoyen musulman ne doit pas seulement continuer à se plaindre, mais doit participer à la société. C'est avec ça que commence l'intégration. Aussi longtemps que nous avons le droit de voter dans notre état de droit démocratique, nous conseillons aux citoyens musulmans d'en faire usage ici. C'est le devoir de tout musulman de coopérer avec d'autres citoyens pour défendre les intérêts de notre société.".

Et le quotidien régional de la province de Flevoland, De Stentor (07/03/2006), a interviewé des responsables de mosquées à Lelystad (marocaine) et à Dronten (turque), qui se félicitent de ce que les partis soient venus y exposer leur programme pendant la campagne électorale, PvdA, Groenlinks et CDA dans la première, PvdA, VVD et CDA dans la deuxième.

Pour sa part, un boulanger marocain de 51 ans vivant à Rotterdam, interrogé dans Het Parool (09/03/2006), a expliqué son choix pour le PvdA par le fait qu'"on doit tout avaler, la discrimination, la pauvreté, pas de travail, nos enfants ne trouvent pas de lieu de stage", et d'ajouter "J'habite ici depuis 31 ans, mais quand je monte dans le métro les Néerlandais me regardent comme si j'étais un criminel. Ca suffit. On parle de "Marocains de merde", on nous dit que la religion musulmane est arriérée, on ne l'accepte plus. Pendant quatre ans les allochtones ont reçu des claques de Balkenende [ le premier ministre CDA] et de Marco Pastors [le leader de Leefbaar Rotterdam, la liste de Pim Fortuyn en 2002]. Maintenant on a rendu à notre tour une bonne claque. Et l'année prochaine [aux législatives ] on fera la même chose, si nécessaire.".

Pour un gardien de ville turc de 35 ans interrogé par le même journal, les motivations des allochtones pour voter PvdA sont les mêmes que celles des autochtones: "depuis Balkenende, les loyers ont grimpé et les salaires ont baissé, c'est devenu difficile, ça ne peut plus durer". Interviewé par De Volkskrant (08/03/2006) un électeur marocain de 45 ans en a marre: "Allez-vous cesser de me demander comment je vote en tant que Marocain ? Imaginez-vous que mes enfants entendent ça. Ils sont nés ici. Je suis d'Amsterdam, si j'étais marocain j'irais voter au Maroc". Le joueur de foot Mohammed Allach abonde dans son sens ( De Volkskrant 11/03/2006): "Il n'y a pas tant de différence entre allochtones et autochtones. Beaucoup d'allochtones se font aussi du souci pour leurs revenus, pour les soins de santé. Eux aussi sentent les effets de la politique du gouvernement dans leur portefeuille.".

Les politiciens allochtones, comme le député travailliste John Leerdam, d'origine surinamo-antillaise, estiment quand même que l'électeur allochtone est désormais devenu un facteur d'importance, "c'est une tendance qui ne peut plus être stoppée, les gens ont vu qu'ils peuvent faire la différence" . Pour l'échevin Groenlinks de Leiden et ancien député Mohamed Rabbae, il s'agit d'une protestation massive contre "un gouvernement qui discrimine, tant dans le ton que dans les mesures". Pour le chercheur Jean Tillie, c'est une répétition à l'envers des élections de 2002: à l'époque, on avait découvert un électorat autochtone oublié, ce qui avait débouché sur le succès des listes Leefbaar et de la Liste Pim Fortuyn, "et maintenant on a réalisé qu'il y a un électorat allochtone oublié et que les partis doivent en tenir compte". Pour Paul Brassé enfin, de l'Institut multiculturel Forum, "il est question de quelque chose de nouveau, la voix allochtone sonne plus fort et plus à gauche que jamais, ils ont émis un statement" (De Volkskrant 11/03/2006).

Mais Jean Tillie avait aussi rapidement estimé après les élections sur les ondes de Radio Nederland Wereldomroep (la RFI néerlandaise, 09/03/2006) que la suite logique pour les travaillistes serait de traduire ce soutien à la fois en termes de postes d'échevins et de bourgmestres allochtones, ainsi qu'en réalisant leurs promesses, ces électeurs allochtones y seront très attentifs, faute de quoi ils abandonneront le PvdA aux législatives de 2007 et voteront massivement pour un autre parti.

Ce soutien conditionné est confirmé par Ali Tachi, directeur de la plus grande mosquée marocaine d'Amsterdam, qui déclare à Abdel Ilah Rubio, de l' Algemeen Dagblad (15/03/2006) que "Les politiciens doivent cesser leurs propos insultants sur les minorités et leur foi. Ils ne doivent pas à chaque fois rendre toute une communauté responsable du comportement d'individus. Et les politiciens doivent aussi cesser de nous appeler étrangers et allochtones. Nous sommes des citoyens néerlandais. Jusqu'à quand cela va-t-il continuer ?". Pour lui, ce serait bon pour l'intégration des différents groupes de population dans la ville qu'il y ait un échevin, voire plusieurs, voire même un bourgmestre "de couleur".

Positions partagées par Ali Unal, porte-parole de la mosquée turque Mevalana: plus de respect, plus de sécurité mais pas d'amalgames, et un échevin allochtone serait une bonne idée, mais des fonctionnaires allochtones forts et capables de discuter avec les différents groupes de population, ce serait déjà pas mal.

Par contre, Hikmat Mahawat Khan, président d'origine surinamienne de l'ULAMON (Union of Lahore Ahmadiyya Organisations in the Netherlands) et de la fédération Contact Groep Islam (CGI), a jeté un pavé dans la mare dans le Nederlands Dagblad du 16/03/2006 en rappelant qu'il ne faut pas trop espérer des promesses faites par les candidats musulmans qui ont fait campagne dans les mosquées ou ailleurs auprès de leurs corréligionnaires: après les élections, ils se retrancheront derrère les porte-parole de leurs partis respectifs, comme les 4 députés musulmans (2 CDA, 1 VVD et 1 D66) parmi les 77 députés qui soutiennent l'actuelle coalition de droite.

Pour lui, "Les politiciens élus ne sont pas là pour les allochtones ou pour les musulmans. Les allochtones et les musulmans ne doivent pas faire des appels polarisateurs comme quoi ils feront la différence. La pratique de la politique est plus complexe, et la société où nous vivons nous est chère. Ne laissons pas nous rendre fous des candidats opportunistes et des hommes et des organisations qui divisent et éloignent les uns des autres toute une société." Il craint également que les partis politiques se transforment en sales managers de troisième ordre pour adapter leur "produit" au vivier des électeurs allochtones, en les dorlotant plutôt qu'en osant mettre un nom sur les problèmes sociétaux et en les résolvant.

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